Souleiado est une belle marque de mode et art de vivre, originaire de Provence, presque plus connue à l’étranger qu’en France. Saviez-vous qu’elle plonge ses racines en 1648 avec l’apparition des tissus que l’on appelait indiennes ? La marque, stricto sensu, naît en 1806. Elle a connu bien des rebondissements qui la rendent attachante. A l’opposé de la royale chronologie de Saint Gobain, Souleiado déploie une histoire rebelle qui s’exprime dans ses tissus et se poursuit jusque dans les lignes actuelles. Voyons comment révéler le storytelling d’une marque avec cet exemple chatoyant.
Révéler le storytelling d’une marque par ses racines

les planches de motifs à imprimer les indiennes provençales à l’origine de Souleiado
En l’occurrence, celles de Souleiado possèdent un fort potentiel de storytelling. Comme quelques entreprises françaises anciennes, Souleiado a bénéficié du sens de la conservation de ses propriétaires. Ainsi, elle détient toujours, transmis de génération en génération, un patrimoine extraordinaire. C’est un « trésor » de plus de 50 000 planches de modèles de tissu imprimé. Mais, si c’est un élément porteur d’histoires, il ne suffit pas à révéler le storytelling d’une marque, dans son ensemble.
En effet, il faut aussi pouvoir lier ces éléments de patrimoine à la vie même de la marque, de ses fondateurs, de ses clients. En cela, des archives textes, dessins et photos, modèles, des interviews apportent un complément utile. A partir de l’ensemble de ces données, il est possible alors d’en
- analyser l’évolution,
- ressortir les temps forts narratifs et émotionnels (qui ne sont pas nécessairement ceux du temps historique ou chronologique)
- isoler les « personnages » qui l’humanisent
- établir une carte émotionnelle.
Les aventures d’un tissu imprimé : succès, prohibition et contrebande !

Madame de Sévigné en Souleiado avant l’heure lance la mode des indiennes provençales ! source : http://souleiado-lemusee.com/un-peu-histoire/
Commençons par un petit rappel des aventures du tissu imprimé, précurseur de la marque. C’est en 1648 que les marseillais découvrent les tissus de coton aux coloris très vifs en provenance d’Inde. Ils vont adapter la technique arménienne d’impression de cartes à jouer au tissu. Ils donnent ainsi naissance aux indiennes provençales. Cette innovation rencontre un tel engouement que Colbert crée, en 1664, La compagnie des Indes. C’est alors Madame de Sévigné qui en lance la mode à la cour de Louis XIV. Ces tissus remportent un incroyable succès ! Le savoir faire s’affine, les ateliers d’indiennage se déploient en Provence et exportent en Italie, Espagne, France.
Mais ce succès fait de l’ombre aux industries textiles de l’époque : lin, soie, laine. Et quand Colbert meurt en 1686, son successeur pense judicieux d’interdire, purement et simplement, du royaume de France, la fabrication et la commercialisation des indiennes provençales.
La résistance s’organise à Marseille. Mais les moules d’impression sont aussitôt brûlés en place publique. Porter des indiennes provençales devient un acte de subversion. Les fabricants « s’expatrient » à Avignon, enclave papale indépendante du royaume de France. Un léger adoucissement de la mesure en 1703, où la production est à nouveau autorisée à Marseille, mais uniquement pour l’export, hors de France. Cette prohibition est assortie de peines extrêmes : 3 ans de galère pour les contrebandiers et la peine de mort pour ceux qui agissent en bande organisée !
Plus les tissus et vêtements sont interdits, plus la demande augmente. Et, contrairement à l’effet attendu, les indiennes connaissent une vogue croissante et font la gloire de célèbres contrebandiers comme Mandrin. Face à ce mouvement, une éclaircie apparaît avec Trudaine en 1759 qui met fin à la prohibition. Mais, de ce fait, Marseille en perd le monopole. Et, pour des raisons fiscales, les entreprises se délocalisent en Provence.
Révéler le storytelling d’une marque par sa naissance
Un nouveau chapitre s’ouvre pour la production des fameuses indiennes. En effet, les provençaux vont désormais fabriquer le coton et créer leurs propres motifs. Malgré le climat mouvementé, c’est une nouvelle apogée pour ces tissus, qui s’accompagne de nouvelles structures. C’est ainsi qu’en pleine Révolution française, en 1790, Jean Jourdan crée la manufacture d’indiennes Jourdan qui donne naissance à Souleiado.

Un trésor ne se présente pas toujours sous forme de pièces d’or, celui de Souleiado n’en est pas moins inestimable, malgré son aspect …
Dès lors, la manufacture alterne les hauts et les bas, qui trouvent toujours leurs résolutions grâce à des repreneurs intuitifs. Après presque un siècle de succès, l’indienne finit par se démoder et les manufactures périclitent les unes derrière les autres. Heureusement, en 1882, un négociant Paul Véran a l’idée de reprendre la manufacture Jourdan, tout en rachetant les archives de toutes les autres maisons. Il constitue ainsi un trésor pour l’avenir : planches de tissu, motifs, secrets de fabrication. A la mort de Paul Veran en 1916, la manufacture manque à nouveau disparaître.
Cette fois, c’est un pharmacien Charles Demery qui a un coup de cœur pour l’entreprise. Il la sauve et la fait prospérer. A sa suite, son neveu, ingénieur en génie civil, tombe lui aussi sous le charme de l’entreprise. Il abandonne sa carrière et officialise la marque en 1939, époque aussi troublée que celle de la révolution où la manufacture fut lancée.
Au sortir de la guerre, Souleiado va à nouveau connaître un boom. En 1947, c’est le lancement de la première collection de robes de prêt à porter haut de gamme. Elle séduit une influenceuse de l’époque, Madame Vachon à Saint Tropez. Dès 1952, 300 employés s’activent pour délivrer leur production à 80 % à l’export.

Chantal Thomass, styliste chez Souleiado. source : site musée
L’entreprise va crescendo, entre au comité Colbert. Sa styliste Chantal Thomass, au bureau de style pendant 15 ans, y défend une identité provençale contemporaine, éloignée des clichés folkloriques. Mais en 1977, nouvel assombrissement en vue. L’impression manuelle des tissus ne résiste plus à la technologie de l’impression mécanique. Malgré tout, Charles Demery continue à croire en son entreprise et à la développer. Quand il meurt en 1986, Souleiado possède 2000 points de vente dans le monde entier. Malheureusement, les héritiers ne savent comment s’y prendre. Tandis que l’entreprise semble s’éteindre définitivement, ils créent un musée …
Ne pas occulter les difficultés de la marque pour révéler un storytelling authentique
Les hauts et les bas de la marque confèrent un rythme quasi romanesque à son histoire. contrairement à ce que l’on pourrait penser, nous sommes plus enclins à aimer et admirer ceux qui essaient, échouent, réessaient. C’est une des règles fondamentales que Pixar relève pour créer un scénario de fiction classique, a fortiori un storytelling efficace. En effet, toute histoire se fonde sur une quête qui fait face à des obstacles, sinon elle verse dans la platitude. Et ces obstacles permettent au héros de s’aguerrir et de renforcer ses qualités.
De même, l’héroïne Souleiado a pu affirmer, sur près de 360 ans, un caractère rebelle voire subversif, un fort tempérament, notamment lors de sa prohibition ou de ses quasi-faillites. A chaque fois, elle séduit de nouveaux propriétaires qui ont l’art de lui redonner vie. Alors elle revient plus forte, développant de nouveaux atouts. Ses repreneurs successifs ont, tous, trouvé une façon originale de la faire percer, en la positionnant hors des stéréotypes de la mode et vers une attitude souvent avant-gardiste. Actuellement ce sont Daniel et Stéphane Richard , père et fils, qui ont réussi, en quelques années, à redonner son éclat à l’entreprise. Ils ont su lui faire retrouver quasiment son niveau des années 50.
Ainsi Souleiado se relie-t-elle à la mythologie solaire du Phénix, car elle renaît toujours de ses cendres. Son nom même signifie, en provençal, le soleil qui perce à travers les nuages. Une belle métaphore qui exprime la faculté de cette entreprise à rebondir. Il est à noter que le tissu et ses 50 000 planches de motifs ont une plasticité, qui permet toute sorte d’adaptation : vêtements homme, femme, enfant, accessoires, décoration …
5 écueils à éviter pour révéler le storytelling d’une marque ancienne

Le récent magasin de Nîmes Horloge présente les collections de mode et art de vivre contemporains tout en donnant accès à une partie muséale. A noter, au plafond, le crocodile de 7 mètres rappelle que ce sont les indienneurs qui ont inventé les premiers le « patchwork »
Pour une marque multicentenaire, la tentation est grande de s’en tenir à une chronologie historique et de l’illustrer par de simples faits, au risque de
- tomber dans la nostalgie, le passéisme
- « ringardiser » la marque
- se reposer sur le passé comme seule légitimité de la marque
- faire abstraction de l’émotionnel avec une liste de date sans âme
- se couper de la communication narrative
Pour révéler le storytelling d’une marque dans une chronologie d’événements, il faut y trouver un fil narratif, un fil conducteur qui donne du sens aujourd’hui et pour le futur.
Par exemple :
- Saint Gobain fort de ses 350 ans passés ne reste pas figé dans la galerie des glaces de Versailles, mais a su faire ressortir, de ses archives et de son actualité, une communication narrative autour d’une quête incessante de l’habitat du futur.
- Les repreneuses de l’éventailliste Duvelleroy qui fête ses 190 ans cette année ont su tirer les fils de modernité qui les relient naturellement au fondateur de la marque, dans une thématique aérienne et légère.
Pour Souleiado, le sens de la narration est orienté par cet esprit de défi, rebelle et fier, qui caractérise l’imaginaire de la terre où elle est née. La marque est en quête d’ intemporel et d’avant-garde, en lutte contre les conformismes de toute sorte.
Souleiado, une plateforme d’histoire

Quand Souleiado incarne à l’écran les histoires de transmission dans un univers solaire
Souleidao est un bon exemple pour comprendre ce que peut être une plateforme d’histoire. En effet, en publicité classique, la marque se caractérise par un ADN, un territoire de marque, des avantages produit, des bénéfices client. Quand on adopte le storytelling stratégique, une fois le storytelling révélé, il faut le structurer. Alors crée-t-on une plateforme d’histoire, un schéma narratif type, des principes narratifs, des personnages.
Celle-ci va englober le storytelling structurel de l’entreprise comme cadre général, mais aussi le storytelling de l’ensemble de ses « produits ». Elle va donner une cohérence et une force à tout ce que la marque va raconter par elle-même, par ses clients, en transformant l’achat de ses produits en expériences à partager. Précisons que le but du storytelling en communication ne se limite pas à raconter de belles histoires, mais a comme objectif de fournir des contenus sur lesquels l’engagement des consommateurs peut se développer.
Or Souleiado brille de mille feux pour un large storytelling à réveler. En voici quelques-unes :
- La mythologie solaire : le phénix, l’été et ses désirs en plus, autres histoires et symboles solaires
- Les coups de cœur et l’engagement des différents repreneurs
- Les figures masculines : du contrebandier Mandrin à Pablo Picasso, en passant par les gardians ou certains influenceurs. Les chemises qu’ils portent racontent bien des histoires. Dans le musée Souleiado à Tarascon, on peut voir une partie du don de 350 chemises du chroniqueur actuel Henry Jean Servat. Il a écrit une lettre pleine d’émotions décrivant son coup de cœur pour ces chemises.
- Les figures féminines : Madame de Sévigné qui en amena la mode de Grignan à la cour de Louis XIV, Juliette Greco, Brigitte Bardot, la styliste Chantal Thomass qui en releva l’éclat dans les années 70, mais aussi et surtout un certain archétype de la « fille du Sud »…
- La terre de Provence comme décor, porteuse d’histoires et d’émotions fortes
- La transmission de savoirs faire, mais aussi la transmission de mère en fille, de père en fils, d’entrepreneur à entrepreneur
- L’affinité avec le Japon, propre aux marques de haute qualité française, avec des collections en co-création pour le marché nippon
Les collections sont bien révélatrices de ce storytelling latent, avec 4 axes pour l’été 2017 :
- Un été en Provence
- Esprit gypset
- Sous le soleil
- Dolce vita
En conclusion
Pour révéler le storytelling d’une marque comme Souleiado, la méthode optimale consiste à :
- prendre connaissance des « archives » anciennes et actuelles de l’entreprise, les voir, les écouter, les toucher, les sentir …
- en extraire un fil narratif fort,
- dessiner une carte émotionnelle,
- structurer un schéma narratif autour d’une quête,
- créer un cadre, la plateforme d’histoire, où déployer cet univers narratif.
Une fois le storytelling révélé, encore faut-il l’animer et le rendre vivant par :
- des réalisations cohérentes (storymaking) : collections, innovations, internationalisation, succès
- des contenus renouvelés et visuels, faciles à partager
- des expériences et des interactions avec ses publics, notamment en mode digital.
Si vous souhaitez révéler le potentiel de votre marque, n’hésitez pas à me contacter pour un premier échange sur le sujet, ici.
Pingback: Cadeaux et expériences à storytelling pour la Saint Valentin | TasteTelling