Si Napoléon avait eu un storyteller, la Bérézina ne serait pas synonyme de défaite mais de victoire.
Les faits « objectifs »
Pour couper la retraite des troupes napoléoniennes, le tsar fait détruire l’unique pont permettant de franchir la Bérézina. Il pense ainsi faire capituler l’Empereur. Mais Napoléon imagine un leurre en envoyant quelques corps de ses armées, plus loin à Borisov, simulant la préparation du passage du gué. Pendant ce temps, il rappelle les pontonniers qui vont construire à une vitesse incroyable 2 nouveaux ponts. Napoléon sort ainsi du piège russe et repousse les 3 armées du tsar. A la Bérézina, Napoléon obtient une victoire militaire indiscutable.
Une narration défaitiste
Pourtant, en français, le mot devient synonyme de défaite … la manière d’en raconter l’histoire n’y est sans doute pas étrangère. Voyons comment l’histoire de la victoire a été parasitée voire occultée par d’autres images et d’autres récits.
En effet, après la victoire de la Bérézina, le général Rapp donne l’ordre de quitter le lieu de la bataille et de franchir le pont avant 7 h du matin. Mais, si les militaires respectent la consigne, ce n’est pas le cas de certains civils qui suivent l’Armée. Parmi eux, des « traînards », espérant ramasser des pièces d’or que les grognards feraient tomber de leur poche ou des trésors rapportés de Moscou que l’Armée abandonnerait sur le chemin, n’ont toujours pas franchi le pont à l’heure dite. Le général bat le rappel et leur donne un sursis jusqu’à 8 h 30. C’est la bousculade sur le pont, jusqu’à l’heure fatidique où il doit être détruit, pour empêcher cette fois les armées russes de rejoindre celle de Napoléon. Ainsi les derniers traînards se retrouvent piégés sous le feu des russes.
L’impact des images d’Épinal
Ces scènes vont alimenter l’imagination fertile des dessinateurs d’images d’Épinal. Ils vont ainsi créer dans l’inconscient collectif des Français une toute autre version de l’histoire de cette bataille !
Un récit à reconstruire
Si Napoléon avait eu à ses côtés un stratège en communication, il aurait pu délivrer d’ autres images non moins spectaculaires. Il aurait pu, par exemple, valoriser ses pontonniers. Pour rejoindre Napoléon, ce bataillon d’élite va parcourir 70 km à pied en 2 jours ! Là, en l’espace d’une nuit, dans l’eau glacée, ils vont construire non pas 1 pont, mais 2, l’un pour l’armement, l’autre pour les piétons. Un exploit incroyable qui a permis la victoire mais qui aurait aussi pu fournir un beau support à l’imagination !
Les fouilles archéologiques actuelles ainsi que l’exposition itinérante Napoléon à la Bérézina donnent des clés pour une nouvelle narration de cet épisode historique.
PS : Cet article est un raccourci historique pris sous l’angle de la narration et pourra heurter la sensibilité des puristes.
Pour un discours plus scientifique, se reporter à un ouvrage de référence : Beaucour F., Tabeur J., Ivtchenko L., La Bérézina, une victoire militaire, Economica, Paris, 2006
Et, pour aller plus loin, dans le quotidien de cette bataille : Capitaine Guillaume Moffre, Journal de Bord, CEN, 2002, le récit au jour le jour de la campagne de Russie, un blog avant l’heure.
Quel joli site, on voudrait en savoir plus :=)
Merci. La note paraîtra au plus tard dimanche.
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